Les mouvements picturaux

En général, tout comme pour les peintres et les sculpteurs, les illustrateurs n’apprécient pas être identifiés à un mouvement pictural donné. Auguste Rodin écrivait à ce sujet : « Il est parfaitement inutile de faire intervenir des lois, des règles, des principes qui n’ont germé que dans les cerveaux de commentateurs disséquant une série d’œuvres vingt siècles après et auxquelles jamais artiste n’a songé une minute. Il est tout aussi inutile d’employer un vocabulaire hérissé de bizarres mots forgés après coup et incompris de presque tout le monde : en art, les choses les plus difficiles s’expliquent avec des mots de concierge. […] Il n’y a ni lois ni mots farouches : il y a un homme qui fait une statue, un point c’est tout[1] ». Cette remarque, venant d’un sculpteur qui a lui-même illustré Baudelaire, mérite certes considération. Cependant, force est de reconnaître que malgré leur réticence naturelle à se plier à des règles qui limitent leur liberté d’action, plusieurs illustrateurs se sont identifiés eux-mêmes à une école, en plus de participer activement à son développement. On peut penser par exemple à Émile Bernard (IX) qui, avec Gauguin, est considéré comme cofondateur de l’école symboliste de Pont Aven, à Magritte (XXIII) qui a été actif au sein du mouvement surréaliste, ou encore à Van Dongen (XLIV) qui est connu comme un des initiateurs de l’art fauviste. Plus souvent qu’autrement, cependant, c’est la critique qui a classé les illustrateurs dans tel ou tel mouvement pictural, parce qu’il s’agissait là d’une façon commode de les distinguer et de les situer dans le temps. S’agissant des illustrateurs de Baudelaire, on a pu en rattacher un certain nombre à des mouvements tels que le symbolisme, le réalisme, la décadence, le fauvisme, le nabisme, l’impressionnisme, l’Art déco, l’expressionnisme, le surréalisme, le modernisme, le vorticisme, etc. C’est le cas par exemple de Redon (III), Schwabe (VI), Chapront  qui sont associés aux mouvements symboliste et décadent, de Matisse au fauvisme, de Domin et Monier (XXII) à l’Art Déco, de Gromaire au réalisme social, de Magritte (XXIII), Delhez (XXXIX), Ekman (XXXIV) et Yalouz au surréalisme, de Goerg (XXXVII), De Boever (XVII) et Rouault (XLII) à l’expressionnisme et enfin de Epstein (XXIX) au vorticisme anglais. Mais la multiplication des écoles depuis la seconde moitié du XXe siècle, avec leurs particularités propres au plan de l’esthétique, de la technique et des sujets, a singulièrement compliqué le classement des illustrateurs. Cette évolution se reflète assez bien dans les illustrations que nous avons retenues. Lorsque cela était possible, c’est-à-dire lorsque nous disposions d’indications suffisamment précises, nous avons pris soin d’indiquer leur lien avec un mouvement pictural particulier. Mais pour les illustrations les plus récentes, la tâche s’est avérée trop audacieuse, sinon impossible.

[1]      Auguste Rodin, Éclairs de pensée, Écrits et entretien sur l’art, Les Éditions de l’amateur, 2003.